QIAN XUAN

QIAN XUAN
QIAN XUAN

Durant la courte période de domination mongole entre les deux longues dynasties nationales des Song (960-1279) et des Ming (1368-1644), la Chine est le théâtre de profondes transformations socio-culturelles. La faillite des structures politiques traditionnelles et la remise en question qu’elle engendre chez les intellectuels chinois est, bien sûr, à la source de ces transformations. Dans la peinture particulièrement, rien à partir du XIVe siècle ne sera désormais comme avant. Reniant l’héritage des Song du Sud associé à la décadence des institutions chinoises, les intellectuels tentent de renouer avec un «âge d’or» révolu en cherchant leurs modèles dans l’art des Tang et du début des Song. Cette démarche se caractérise, chez la première génération de peintres Yuan, par un archaïsme délibéré et un renouveau de la peinture de personnages, dont les thèmes historiques attestent la gloire de la civilisation chinoise. L’art de Qian Xuan, à la charnière du XIIIe et du XIVe siècle, marque la transition entre un retour à l’archaïsme et l’avènement de ce que l’on a pu justement qualifier de «classicisme» chinois.

Un peintre à la charnière de deux époques

Qian Xuan (env. 1235 - après 1301), souvent mentionné sous son prénom officiel Shunju, est originaire du Zhejiang. Il reçut une formation classique couronnée dans les années 1260 par sa réussite au concours de jinshi , sorte de doctorat. Vivant à Wuxing (Jiangsu) après la chute de la dynastie Song du Sud (1127-1279), il devint, avec son ami Zhao Mengfu, membre d’un groupe de lettrés distingués dès cette époque sous le nom des «Huit Talents de Wuxing». Le groupe se dispersa lorsqu’en 1286 l’empereur mongol Kubilaï convia à la cour de Pékin les plus célèbres lettrés du pays, invitation à laquelle répondit Zhao Mengfu. Qian Xuan ne se rendit pas à la capitale et paraît avoir mené dès lors une vie de retraite.

De ce refus de quitter la Chine du Sud est née une grande part de la légende qui entoure Qian Xuan. Les critiques chinois de la postérité, toujours soucieux d’adapter les faits au moule de l’idéologie officielle, ont présenté Qian Xuan comme un loyaliste fervent. Il est devenu un héros dont le refus de toute compromission est automatiquement opposé à l’attitude renégate de Zhao Mengfu, coupable d’avoir accepté les avances de l’occupant mongol. Gardons en mémoire la relativité des matériaux historiques et la partialité des interprétations a posteriori; la véritable personnalité de Qian Xuan est à chercher bien davantage dans sa peinture que dans les notices et catalogues tardifs.

Qian Xuan est connu comme peintre de paysages, de personnages, mais surtout de «fleurs et oiseaux», un genre très pratiqué à l’académie des Song. C’est ainsi qu’un grand nombre de peintures proches du style académique des Song du Sud lui est attribué; mais, dans un corpus de plusieurs centaines d’œuvres, une dizaine à peine reflètent le style du maître. Né plus de quarante ans avant la chute de la dynastie chinoise, Qian Xuan est encore, à bien des égards, un homme des Song du Sud. Aîné des peintres Yuan, il n’a pas connu la décennie 1340-1350 qui marquera la maturité de leur style. Son art ne se situe pas toutefois dans la filiation de la peinture Song mais dans l’ambiguïté de cette fin du XIIIe siècle où, face à la menace d’acculturation mongole, les artistes tentent d’affirmer la pérennité du génie chinois en restaurant des styles anciens tout en cherchant, d’autre part, à créer leur vocabulaire personnel.

«Peinture de fleurs et d’oiseaux»: un héritage renouvelé

Comme tous les peintres Yuan, Qian Xuan abandonne la soie, support favori des artistes Song, et lui substitue le papier. Ce choix délibéré constitue un caractère essentiel de la peinture Yuan. La soie permet la diffusion de l’encre et se prête donc aux grandes étendues de lavis qui font la qualité atmosphérique de la peinture Song. Loin de rechercher ces effets, les peintres Yuan s’attachent au jeu graphique de la ligne d’encre sur le fond sec et neutre du feuillet. La période mongole marque l’avènement d’un art plus intellectuel, moins préoccupé de la poursuite du réalisme qu’à l’époque précédente. Les thèmes traditionnels traités par Qian Xuan ne doivent donc pas nous égarer: Branche de poirier (Metropolitan Museum, New York) ou Gardénias et pommes sauvages (Freer Gallery, Washington) du maître sont bien différents des branches fleuries de l’académie Song. Pas de fondu atmosphérique, pas de vibration, pas de traitement poussé des surfaces, mais des formes d’une précision cristalline se détachant sur le vide du papier. Les Pigeons sur une branche de poirier du musée de Cincinnati offrent un bon exemple de l’évolution radicale d’un genre traditionnel sous le pinceau de Qian Xuan: une branche sortant de l’angle inférieur gauche lance un court rejet vers le haut tandis que sa tige principale se développe vers la droite, soulignant, dans son parcours parallèle aux bords du rouleau, l’horizontalité du format. La branche est d’un tracé précis, sa substance semble plus minérale que végétale. Deux pigeons y sont posés, traités avec un curieux mélange d’abstraction et de naïveté en une articulation de portions de cercle et de triangles, rehaussés de légers lavis de couleurs variées marquant les différences de plumage. Les formes n’ont pas de réel volume, aucun effort n’est fait pour les situer dans un espace tridimensionnel; bien au contraire, la composition est disposée en frise plate à mi-distance des bords du rouleau. Dans cette gaucherie apparente réside la «saveur antique», recherche essentielle de la peinture du début des Yuan. Les Pigeons sur une branche de poirier constituent un exercice de style où l’artiste réinvente de façon délibérée la maladresse des peintres de l’Antiquité. Plus naturels sont le Melon d’automne et l’Écureuil sur une branche de pêcher du musée de Taipei. Dans la première composition, l’artiste joue avec une extrême subtilité du contraste de la ligne – fin réseau des nervures des feuilles et tiges graciles – et du volume – un melon rendu sans contour aucun, par des tranches au lavis foncé que séparent de fines lignes laissées neutres. L’extrémité jaunie d’une feuille ajoute une note délicate et anecdotique à cette composition très concertée.

Retour au passé et synthèse des styles anciens

Qian Xuan cultive la même «saveur antique» dans ses paysages et ses peintures de personnages, en adoptant pour les uns le style «vert et bleu» créé sous les Tang et pour les autres des sujets historiques traités dans le style linéaire du grand peintre de personnages du XIe siècle Li Longmian. La Freer Gallery conserve une peinture de ce type: Yang Guifei enfourchant un cheval . Deux rouleaux de même composition, Wang Xizhi contemplant les oies (Metropolitan Museum, New York, et Taipei), illustrent le style de paysages de Qian Xuan. Le travail de texture des surfaces (cunfa ) est abandonné au profit de grandes lignes nettes délimitant les contours ou les reliefs principaux et de l’application de vives couleurs: vert, bleu, ocre. Néanmoins, les langues de terre au lavis brun qui adoucissent le passage de la terre à l’eau devant le pavillon de Wang Xizhi et les branches dénudées se dressant au-dessus du toit attestent l’influence des styles «Dong-Ju» et «Li-Guo» de la peinture Song du Nord. Le retour au passé est donc au cœur de la démarche artistique de Qian Xuan. Il ne se résume pas à la poursuite inconditionnelle d’une tradition unique, mais constitue une tentative de synthèse et de réinterprétation de plusieurs styles anciens.

Encyclopédie Universelle. 2012.

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